ah, donnez-nous des petits Bourdieu, des intelligences critiques au service du peuple. Comme on ne les entend plus, on croit qu'il s'agit d'une espèce disparue, en fait c'est juste un problème d'antenne...
la pensée critique ne passe pas avec un "hasch-tag", le format actuel en 140 signes est juste suffisant pour un borborigme ou une didascalie de coprologue
par manque de place on choisit des mots courts ou des mots tronqués
et insidieusement on tronque la pensée
tiens, celui-ci est italien, Marco Revelli s'est révélé à moi via le site internet de Libé (plus subversif que les pages papiers), il a une bonne plume.
«L’économie qui tue», celle dont parle le pape, nous la voyons à l’œuvre ces jours-ci, en direct, de Bruxelles. Et c’est un spectacle humiliant. Elle ne tranche pas de gorges, elle n’a pas l’odeur du sang, de la poudre et de la chair brûlée. Elle agit dans des salles climatisées, dans des couloirs feutrés, mais elle a la même férocité impudique que la guerre. La pire des guerres : celle déclarée par les riches de la globalisation aux pauvres des pays les plus fragiles. Voilà ce qu’est la métaphysique influente des plus hauts responsables de l’Union Européenne, de la BCE et, surtout, du FMI : démontrer, par tous les moyens, que ceux qui sont en bas ne pourront jamais faire entendre leurs propres raisons.
... Christine Lagarde a imprimé une nouvelle accélération au processus de dévoilement, en faisant monter les enchères. Il ne s’agit plus, seulement, de spolier l’autre, mais de l’humilier. Ce n’est plus seulement la dialectique, entièrement économique, «créancier-débiteur», mais celle, bien plus dramatique, «ami-ennemi», qui marque le retour de la politique dans sa forme la plus essentielle, et la plus dure : celle du polemos (guerre en grec ancien).
En effet, on n’avait encore jamais vu un créancier, aussi stupide soit-il, tenter de tuer son propre débiteur, comme le FMI est en train de le faire avec les Grecs. Il doit y avoir quelque chose de plus : la construction scientifique de l’«ennemi». Et la volonté d’un sacrifice exemplaire.
Un autodafé dans les règles, comme aux temps de l’Inquisition, afin que plus personne ne soit tenté par les charmes de l’hérésie.
Lisez attentivement le dernier document contenant les propositions grecques et les corrections en rouge du Groupe de Bruxelles, publié (avec une certaine délectation sadique) par le Wall Street Journal : c’est un exemple bureaucratique de pédagogie de l’inhumain.
Le surligneur rouge a sévi dans tout le texte, cherchant, avec une précision maniaque, la moindre allusion aux «plus nécessiteux» (most in the need) pour la mettre en évidence, d’un trait. Il a nié la possibilité de maintenir une TVA plus basse (13%) pour les produits alimentaires de base, et à 6% pour les médicaments ( !). De même que, sur le versant opposé, il a effacé toute possibilité de taxer un peu plus les profits les plus élevés (supérieurs à 500 000 euros), en hommage à la sinistre théorie du trickle down, du «ruissellement», selon laquelle enrichir les plus riches profite à tout le monde !
Il a, enfin, parsemé de rouge le paragraphe sur les retraites, imposant de pressurer encore plus, et tout de suite, un secteur déjà massacré par les Memorandum de 2010 et de 2012.
Un pays, donc, qui a donné tout ce qu’il pouvait, et bien plus encore. Pourquoi, alors, continuer de le pressurer ?
Ambrose Evans-Pritchard – un commentateur conservateur, mais qui n’est pas aveuglé par la haine – a écrit, dans le Telegraph, que «les créanciers veulent voir ces Klepht rebelles (les Grecs qui, au XVIè siècle, s’opposèrent à la domination ottomane) pendus aux colonnes du Parthénon, comme des bandits», car ils ne supportent pas d’être contredits par des témoins de leur propre échec. Et il a ajouté que, «si nous voulons dater le moment où l’ordre libéral, dans l’Atlantique, a perdu son autorité, - et le moment où le projet européen a cessé d’être une force historique capable de créer de la motivation – ce moment pourrait bien être celui que nous vivons actuellement.» Il est difficile de lui donner tort.
Nous ne pouvons pas nous cacher que ce qui se joue en Europe ces jours-ci, sur le versant grec et sur celui des migrants, marque un changement de scénario pour nous tous.
Une chose est claire, aujourd’hui plus que jamais : soit l’Europe change, soit elle meurt.
Ce texte est un éditorial du «Manifesto» du 27 juin 2015.
Traduit de l’italien par Marguerite Pozzoli.
Marco REVELLI (sociologue et historien italien)
Le texte intégral
http://www.liberation.fr/debats/2015/07/01/contre-le-totalitarisme-financier-l-europe-doit-changer-ou-mourir_1341010
Commentaires
L'Huma qui n'a plus depuis longtemps la faucille et le marteau accrochés à son nom, mais se réclame plutôt de son fondateur Jaurès, est une mine en articles intelligents. Il a des journalistes, correspondants remarquables (Rosa Moussaoui, Hassane Zerrouky...) et surtout le journal donne la parole à des penseurs remarquables, pas du tout communistes.
Sur les comportements criminels du Conseil restreint de l'Europe vis-à-vis de la Grèce, il y a chaque jour des analyses dont je souhaiterais la lecture à tout le monde. Je ne sais pas si cela mettrait tous les peuples d'Europe dans les rues à dire leur fait aux gouvernants qu'on devrait mettre dehors.
Sur l'Huma d'hier, il y avait une intervention très intéressante d'Eric Toussaint, maître de conférence à l'université de Liège, porte-parole du Comité pour l'annulation de la dette du tiers-monde.
Sur l'Huma d'aujourd'hui, six économistes décryptent le mauvais plan imposé à la Grèce.
Sur l'Huma du 7 juillet, deux pagres montrent schémas à l'appui où est passé l'argent des prêts de 312 milliards (à recapitaliser les banques, rembourser FMI et consors, les primes aux créanciers, le rachat de la dette, etc. etc. 11,7% seulement ont répondu aux autres besoins de trésoreries du gouvernement )
Quant aux propositions grecques refusées par les créanciers et les propositions honteuses de ces derniers, je les garde pour ne pas oublier (Huma des 26, 27 et 28 juin)
@Michèle
"Garder pour ne pas oublier" et vous faîtes bien, cette affaire grecque est une décillation (je sais le mot manque au dico) du détournement de l'idée (qui fut belle) européenne. C'est la porte ouverte au retour des nationalismes, aux fascismes et les élites actuelles qui la coachent franchement, on ne leur confierait pas nos enfants !
Quand à l'Huma, ma foi je n'ai rien contre, nous discutions justement l'autre soir, d'un possible retour en grâce du PC (qui pourrait changer de nom) après sa virginité refaite (il paraît que c'est possible une réparation d'hymen) !!!
Quand il n'y aura plus aucun laissé pour compte, quand l'humiliation et la spoliation continuelles auront cessé, je n'aurai plus besoin d'être communiste.
Je ne pense pas qu'on puisse envisager quoi que ce soit en dehors des conditions sociales de production. Les analyses de Bourdieu, qui dérangent tant de connards, seront longtemps hélas d'une justesse terrible.
Quelques questions peut-être : combien de « bons et grands» textes qui disaient le vrai et le juste n’ont-ils pas été récupérés, déformés, trahis et combien d’autres n’ont-ils finalement jamais atteint leur destination ? La mise en œuvre d’un manifeste, par exemple du parti communiste, serait-elle possible sans bureaucratisation, sans trahison, sans élimination meurtrière des opposants, au nom de la vérité révolutionnaire ? Au milieu d’un monde dominé par les images une littérature à venir pourra-t-elle faire entendre une parole quelque peu neuve ? Comment se débarrasser, tout en nous l’expliquant, de cette économie dont l’étymologie, grecque et cocasse, signifierait « loi de la maison » ?
Une parole neuve est très certainement à l’œuvre dans la littérature (littéraire) qui s'invente depuis les années 80. Je pense qu'il est difficile d'évaluer de quelle proportion d'individus elle est lue. Je crois que le salut des hommes, du moins ceux qui ont une civilisation écrite pourrait venir de là...
Mais quand vous parlez de littérature à venir je comprends bien de quoi vous parlez. Manifestes qu'inventeraient nos enfants devenus adultes, et les enfants des enfants...
Il me semble que l'humanité trouvera des solutions quand elle sera adulte, renoncera aux apparences, aux images...
Quand elle s'intéressera (autant qu'au Tour de France ou au foot) à tous les textes ourdis dans l'ombre, depuis le projet "Atlantis", signé en 95, en passant par le PET (Partenariat économique transatlantique) de 98, Le NPET de 2007, jusqu'au TAFTA aussi appelé TTIP, en tout cas Grand Marché Transatlantique, qu'on nous prépare...
Sinon, pour revenir à votre commentaire, Mécanofils, j'aime beaucoup ce que vous dites, comme toujours, ici et ailleurs... :)
@Mécano & Michèle
Bien canard...
la noblesse coprologue qui nous coache se caractérise par son extraordinaire faculté de récupération des productions marginales
c'est là son kif son élixir
la révolte la régénère et elle légitime en retour la parole révoltée
soyons irrécupérables !
réinventons le silence
(qui ferait quand même 25 DB !)