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Elégie pour Hong-Kong

Antony Wallace est le lauréat 2020 du prix de la ville de Perpignan Rémi Ochlik pour son travail sur la révolte en cours à Hong-Kong.
(Festival VISA 2020 du photojournalisme)



Ta foutue patrie débarque !
Elégie pour Hongkong

Dans un grondement de blindés, la nuit dernière,
Les bouchers ont pénétré Hongkong.
Les autorités affirment qu’il ne s’agit que d’une routine, la relève de la garde, mais c’est ta foutue patrie qui est là !
Peuple de Hongkong
Vous serez témoins, sur le pas de vos portes
De massacres qui succéderont aux massacres
Juste comme il y a trente ans
Le peuple de Pékin a vu de sa fenêtre
Les mitraillettes qui tiraient, tiraient, tiraient…
Les résistants s’écrouleront, vagues après vagues
Comme du duvet de canard qui obscurcit un jour d’été.
Voici la dynastie mongole de Chine qui revient à l’attaque :
Une tragédie dont se souviennent les mères et les enfants,
Oh ! Vieillard céleste, celui que les Occidentaux nomment Dieu,
Vous vous souvenez qu’une jeune femme du nom de Dou E versa des torrents de larmes
Mais elle eut la tête tranchée par cette patrie qu’elle appelait Mère.
Dieu se met à pleurer et ses larmes se transforment en tempête de neige L’histoire se répète sans fin, comme un cortège funèbre parmi les gratte-ciel.
A l’époque les fusils n’avaient pas encore été inventés
Sinon les balles des flics de Hongkong auraient déjà été inscrites dans l’histoire
Pour avoir crevé les yeux de cette fille
Que cette âme aveugle se dresse
Qu’elle marche droit devant elle, trois pieds au-dessus du sol
Au-devant des blindés des bouchers qui s’avancent
Que les balles perdent leurs sifflements, que les grenades perdent leurs gaz. En passant de la vie à la mort, comme s’ils revenaient de la rue pour retrouver leurs lits
Une forêt de parapluies flotte dans un rêve «Reprenons Hong Kong, le jour de la révolution»
Dormez, dormez mes enfants, dit Dieu.
Vous vous êtes battus si longtemps dans les rues
Même les étoiles et la lune ont besoin de sommeil
Dormez, gratte-ciel
Dormez, cris des manifestants,
Dormez, suffrages universels
Dormez, fugitifs kidnappés,
Dormez, libertés étouffées,
Dormez, braves de nos rues
Dormez, paix, raison et non-violence
Dormez, cinq revendications,
Dormez, opération Yellowbird
Dormez opinion publique violée en réunion
Dormez, dizaines de milliers, centaines de milliers, millions de manifestants
Dormez, laissez-les trouver satisfaction pour cette fois
Dormez, laissez Carrie Lam et ces dirigeants sans pitié de la patrie en faire à leur guise
Dormez, laissez cette mère baptisée de Hongkong trouver son plaisir juste une fois.
A-t-elle vraiment enfanté ?
A-t-elle eu des enfants ?
Une mère qui aurait eu des enfants ne pourrait pas agir de la sorte
Dans l’histoire de l’humanité, aucun boucher n’a été une femme.
Il y a trente ans, Li Peng qui déclara la répression et la loi martiale
Etait un homme.
Dormez, laissez les cieux s’inverser
Laissez les sans-abri errer dans les nuages
Bercez-vous de comptines et rêvez aux anges.
Dormez et retournez loin dans le passé
Lorsque tous ces Hongkongais n’étaient pas encore nés
D’innombrables Chinois du Continent se succèdent, comme les vagues, l’une après l’autre
Elles surgissent de la baie de Shenzhen, du Pic du Lion, ou même de plus loin, de la haute mer.
Tous s’effondrent, à genoux, avec leur propre légende d’une évasion vers Hongkong, au fond, seulement quelques pages de cartes topographiques. Ils crient : J’ai soif ! J’ai faim ! On m’a empoisonné ! On m’a tiré dessus !
Ne me renvoyez pas !
C’était durant une nuit de pleine lune et la brise était douce.
Un Anglais tourna la tête dans cette direction
Un bateau de patrouille passait par là
Des torches électriques ont sillonné la nuit
Puis l’Anglais dit : «Tu peux rester
Ta patrie ne vient pas jusqu’ici.»
Tu peux rester. C’est l’histoire de ton grand-père
C’est aussi celle de ton père
Maintenant c’est la tienne mon enfant.
C’est le dernier doux rêve des Hongkongais :
La patrie ne vient pas jusqu’ici. Sauf que maintenant la voici
Ta foutue patrie est arrivée
Ainsi que les arrestations, les kidnappings, les lavages de cerveau et les meurtres.

Liao Yiwu, 1er septembre 2019 (traduit par Marie Holzman).

Liao Yiwu poète, écrivain, ancien prisonnier politique chinois exilé en Allemagne

Photographie Antony Wallace (Prix Rémi Ochlik, VISA 2020)

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