Au quartier, ils avaient enlevé les carcasses des voitures. Il restait les négatifs sur le bitume, plastiques fondus, amalgames. Les pneus en se consumant avaient semé quelques poignées de cheveux roux.
Cela cognait toujours du côté de l’usine à pain. J’avais la tête pleine d’air et de lutins, je me suis laissé emporter par la houle.
J’aimais bien courir avec eux, c’était tonique. Ceux-là étaient beaucoup plus jeunes, des bandes des cités venues pour s’amuser avec les bleus. Ils avaient tous des cagoules, de grands survêts ou des bombers colorés. Un grand black m’a dévisagé avec insistance, c’est sûr, je faisais pas partie de la tribu, mais j’étais toléré. Ils étaient plus rapides, plus mobiles, plus violents et faisaient des trucs très risqués. Ils s’approchaient très près, à toucher et surtout, ils cassaient tout, les grandes vitrines qui s’effondraient d’un seul bloc et s’éclataient au sol, une vague de petits éclats blancs, quelque chose d’un sérac qui se décroche avant d’exploser.
Je faisais rien de spécial, courir, me baisser, éviter les cuillères des grenades et les pavés que relançaient les bleus. J’ai aidé à démonter une baraque de chantier, à renverser un container, des trucs pratiques et surtout, j’ai poussé avec eux, renversant quelques voitures, ça, j’aimais bien, cela me faisait du bien de retourner des voitures, quelque chose comme une revanche familiale. Chez moi, ils bossaient tous dans l’automobile, à l’usine, ouvriers qualifiés, techniciens, deux générations, peut-être trois, le poids, l’attraction, quelque chose qui se tasse à l’heure de partir au boulot, alors forcément, cela m’avait un peu marqué cette fatalité là, moi qui avais échappé aux machines.
® lacalavera